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Un peu d’histoire

Un peu d’histoire…

Sceau en stéatite

Depuis des millénaires, l’enseignement du Yoga se perpétue.
Les recherches archéologiques effectuées en 1920 sur les sites de Mohenjo-daro et d’Harappâ dans la vallée de l’Indus ont permis de découvrir des sceaux en stéatite de forme carrée, datant d’environ 5000 ans, représentant des humains en position assise avec les jambes repliées, posture que l’on attribue, sans aucun doute possible, à la discipline du yoga.
Mais historiquement, du yoga de cette époque, que savons nous…?
Concrètement, rien…

Le premier texte traitant ouvertement du yoga, apparaît au début du premier millénaire sous la forme des Yoga sûtra attribués à Patanjali. Ce traité dans une forme extrêmement lapidaire, les sûtra, décrit un yoga en huit étapes que certaines écoles et fédérations actuelles appellent l’Asthanga-yoga. Il est d’ailleurs très étonnant que ce traité de yoga, par ailleurs fort intéressant, soit étudié comme texte de base, puisqu’il ne contient en soi que très peu de référence concernant les techniques de hatha-yoga. Seul, cinq sûtra sur cent quatre vingt dix huit abordent les notions de d’âsana (posture) et de prânâyâma (maîtrise du souffle). En fait, celui ci est une synthèse de pratiques ancestrales et se définit sous l’appellation de Raja-yoga ou yoga royal. Ce yoga royal de type ascétique prône entre autre, à travers les cinq refrènements (Yama) et les cinq observances (Niyama), la pauvreté, la chasteté, le renoncement, l’austérité, l’isolement. Ce texte, au fil des siècles a fait l’objet de nombreux commentaires de la part d’illustres érudits indiens et plus récemment de sanskritistes occidentaux.
Vivekânanda, écrivait à ce sujet “Il est frappant de constater que plus le commentateur est moderne, plus les erreurs sont grandes, tandis que plus l’auteur est ancien, plus l’enseignement est rationnel”.

L’étymologie du mot yoga provient de la racine sanscrite yuj qui signifie l’action de joindre, d’unifier. La signification originelle du yoga comme méthode d’unification s’élargit peu à peu pour désigner toutes les disciplines spirituelles permettant la jonction de la conscience individuelle à la conscience absolue.
Ainsi, la culture indienne distingue plusieurs types de yoga.

KundalaLe jnâna-yoga, recherche d’unification par la connaissance et la discrimination.
Le karma-yoga par l’identification à l’action juste et le renoncement aux fruits des actes.
Le bakti-yoga, l’union par l’amour et la dévotion profonde.
Le râja-yoga, par la méditation.
Le kundalîni-yoga, par l’éveil de l’énergie enroulée à la base de la colonne vertébrale.
Le hatha-yoga, dans l’effort soutenu et la perfection du corps en vue de la libération (moksha).

Le hatha-yoga, celui qui nous intéresse est codifié à la fin du premier millénaire en milieu shivaïte et tantrique dans la lignée des natha-yogin. Les initiés de cette tradition ajoutent à leur nom le suffixe natha qui veut dire seigneur et portent de grandes boucles insérées dans la partie cartilagineuse de l’oreille d’où provient le nom de kâmphâtâ-yogin ou yogin aux oreilles percées. En même temps que l’anneau d’oreille (kundala), il leur est remis un petit sifflet (nâdî) suspendu à des fils de laine que l’adepte se doit de porter au cou en permanence. Ce nâdî est utilisé avant de manger, pour s’approcher du guru et afin d’appeler la divinité. C’est après la cérémonie du percement de l’oreille que l’adepte est initié aux complexités du hatha-yoga et aux rituels propres à cette lignée.

Plus connu, que véritablement compris…

Dans une confusion totale, ces différents yoga réservés à l’origine exclusivement à des initiés, se sont propagés dans une version “allégée” au-delà des frontières et des barrières culturelles lui permettant d’acquérir une grande notoriété en Occident. En fait plus connu, que véritablement compris, le hatha-yoga victime de sa popularité, est trop souvent assimilé par un large public à une simple relaxation ou une gymnastique douce.

Tara Michaël, dans la revue FMR n°20 de juin 1989, dans son article Gymnastique de la sainteté émet l’hypothèse suivante : “Cette célébrité du hatha-yoga est sans doute due au fait que celui-ci recherche la perfection du corps avant la libération, et cette dernière au moyen, et non pas au détriment, de la première. Les occidentaux, brouillés avec leur corps par des siècles de christianisme, ont pu trouver par ce yoga le moyen de le redécouvrir, mais bien souvent ils s’arrêtent là et ne s’acheminent pas vers sa deuxième et essentielle finalité”.

Amputé de cette finalité, ce yoga occidentalisé ne sert que trop souvent l’individu dans sa dimension personnelle, renforçant de façon quasi maladive la dimension égotique. De plus, de nombreux enseignants, considérant certainement par ignorance, le hatha-yoga incomplet, incorporent dans leurs cours des pratiques issues d’autres disciplines, semant la confusion dans l’esprit des élèves. Dans la continuité, nous constatons depuis quelques décennies l’arrivée sur le grand marché du bien-être et du yoga, des “marchands” professant un yoga pour tous. Cette image d’un yoga éminemment “cool” et “zen” accessible à tous n’a pas tardé à envahir, dans une parfaite confiance, le monde de la publicité.
Par ailleurs, d’autres professeurs, gonflés d’orgueil, n’hésitent pas à laisser leur nom se juxtaposer au terme yoga ou mieux encore à déposer un brevet pour s’approprier une série de postures ancestrales. Entreprise dérisoire….

La Shiva-samhita précise “Si la connaissance est la plus grande amie de l’homme et l’égoïsme son pire ennemi, si l’illusion cosmique (mâyâ) est la plus grande source d’égarement, le yoga est le plus grand pouvoir”.

Il faut rappeler au passage, que la plupart des textes traditionnels de hatha-yoga que l’on situe du 12ème au 15ème siècle n’ont pas été signés par leur auteur. Cela est-il un hasard ?

Pour en finir avec ce constat accablant, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux et de se pencher avec sincérité sur l’étude et la pratique du hatha-yoga au plus proche de ses sources.
Au préalable, il est essentiel de préciser que cette discipline s’adresse à la dimension universelle de l’être humain, même si cette démarche s’est élaborée et développée dans un contexte indien. Chaque homme est confronté au delà des apparences (l’avoir, la culture) à une même réalité, à un même questionnement, celui de l’Être, de la vie, de la mort.
Cette perception de la dualité est suggérée par la symbolique solaire et lunaire implicite dans la terminologie des deux syllabes ha et tha composant le mot hatha-yoga.
Les stratégies misent en œuvre (sâdhanâ) par les différents courants hatha-yoguiques, toutes basées sur une notion d’effort soutenu ont pour but de réduire la perception de la dualité, terreau propice à toutes les formes de souffrances, pour accéder à l’unité primordiale.

Tableau comparatif des différentes étapes du hatha-yoga selon les lignées…

Pour accéder à l’unité primordiale, les traités de hatha-yoga qui nous sont parvenus expriment l’essentiel de l’enseignement en sept degrés pour la Gheranda-samhita (traité de Gheranda), en six étapes pour la Goraksha-shataka (centurie de Goraksha) et en quatre pour la Hatha-yoga-pradîpikâ (la petite lumière du hatha-yoga).
 
Gheranda-samhita
Goraksha-shataka
Hatha-yoga-pradîpikâ
– Shat-karman, les six purifications
– Âsana, les postures
– Âsana, les postures
– Âsana, les postures
– Mudrâ, les sceaux
– Mudrâ, les sceaux
– Shat-karman et prânâyâma
– Pratyâhâra, le retrait des sens
– Pratyâhâra, le retrait des sens
– Prânâyâma, la maîtrise du souffle
– Prânâyâma, la maîtrise du souffle
– Mudrâ et bandha, sceaux et ligatures
– Dhyâna, la méditation
– Dhyâna, la méditation
– Samadhî, l’Eveil
– Samadhî, l’Eveil
– Samadhî, l’Eveil

Le tableau ci dessus nous permet de distinguer les différences propres à ces voies mais surtout d’en percevoir l’absolue cohérence. Nous pouvons constater au premier regard que l’enseignement de la Hatha-yoga-pradîpikâ à condensé les différentes étapes. Comme nous le verrons ultérieurement l’accès au Samâdhi est nécessairement lié à un retrait des sens et à un état méditatif profond. D’autre part, seule la Goraksha-shataka fait l’impasse des shat-karman ou les six techniques de purification considérées par les deux autres textes comme un préalable.

Le hatha-yoga dans sa dimension traditionnelle…

I – SHAT-KARMAN, les six purifications.

Quels sont ces six purifications et quels rôles jouent elles dans la démarche ?
1) Dhauti, les quatre nettoyages (buccal, stomacal, pectoral et rectal).
2) Vasti, le lavement (intestinal).
3) Neti, le nettoyage du nez.
4) Lauliki, le barattage du ventre.
5) Trâtaka, la fixation oculaire.
6) Kapâlabhati, le nettoyage du crâne.

Ces shat-karman ont pour rôle de purger l’organisme de ces encombrements et de purifier le système nerveux. Il est à noter qu’à notre époque, rares sont les yogin qui pratiquent encore cette discipline. Pour sa part, la goraksha-shataka s’adressant à des yogin de « haut vol » considère ces préalables comme inutiles ou dépassés, les âsana ou postures remplissant à elles seules cette fonction de purification.

II – ÂSANA, les postures.

Natha-yoginLes trois textes font références en préalable à l’existence de 8 400 000 postures exprimant par là, la multiplicité de forme de conscience et de vie présente dans la manifestation. La Hatha-yoga-pradîpika retient trente trois postures, la Gheranda-samhita trente deux et la Goraksha-shataka deux.
Il apparaît évident que ce dernier texte s’adresse à des yogin confirmés puisqu’il ne retient que Siddhâsana (posture parfaite) et kamalâsana ou padmâsana (posture du lotus), toutes deux correspondantes à des postures assises, finalité du corpus postural.
L’ensemble des postures dynamiques et statiques ont pour objectifs de retrouver progressivement les qualités essentielles qui permettront de vivre le corps non plus comme « l’hopital de toutes ses misères » mais comme un véritable lieu de réalisation. Selon le type de posture pratiquée, se développe souplesse, agilité, équilibre, patience, résistance, intensité, force, puissance, fermeté et stabilité. Chaque âsana, devient pour le yogin un véritable laboratoire lui permettant d’accomplir l’alchimie intérieure nécessaire à la maîtrise du corps physique et à l’élargissement de son champs de conscience. Cette démarche longue et exigeante mène le yogin à vivre la posture assise, immobile sans aucune gène sur des périodes prolongées. Cet état lui permet de se rendre disponible à des niveaux plus subtils.

III – MUDRÂ et BANDHA, les sceaux et ligatures.

Chaque mudrâ ou sceau ainsi que chaque bandha ou ligature correspond à une position spécifique d’une partie du corps ou du corps dans son intégralité. Ce positionnement partiel ou total permet, tout en scellant le corps grossier, de canaliser l’énergie vitale produite par les âsana et le prânâyâma pour mieux guider celle-ci dans des lieux spécifiques de la structure énergétique.
La Gheranda-samhita en cite vingt cinq, la hatha-yoga-pradîpikâ dix et la Goraksha-shataka toujours aussi minimaliste dans son approche, cinq de façon explicite et une de façon implicite. Nous pouvons affirmer que la pratique du hatha-yoga est sans aucun fondement en l’absence des mudrâ, des bandha et du prânâyâma.

IV – PRÂNÂYÂMA, la dynamique du souffle.

Corps subtilLa même logique que dans les étapes précédentes est mise en place cette fois pour investir la structure énergétique par l’intermédiaire de l’acte respiratoire. La Goraksha-shataka donne la définition suivante du terme prânâyâma dans le sloka 42.
“Le prâna est le vent (vâyu) qui se tient dans le corps, et l’élongation du souffle (âyâma) est le fait de retenir captif ce prâna. Quand la mesure du prolongement arrive à la capacité de demeurer sur une seule respiration, ce yoga fait atteindre le ciel”.
Ce même texte, toujours aussi concis ne propose qu’un seul prânâyâma : Nâdî shodana, la purification des nâdî qui correspond, au niveau des apparences, simplement à une respiration alternée accompagnée de rétentions.
La Gheranda-samhita et la Hatha-yoga-pradîpikâ en proposent huit chacune avec de légères variations d’un texte à l’autre.
Il est important, avant tout, de préciser qu’à l’exception de quelques rares individus, aucun d’entre nous ne reçoit d’éducation dans le domaine de la respiration. La plupart de nos congénères ne respirent guère mieux que la plupart des animaux. Pourtant fort est de constater que la gestion du souffle permet d’acquérir des pouvoirs surprenants. Sur le plan profane, il nous suffit d’observer les résultats de quelques sportifs de hauts niveaux, d’instrumentistes à vent ou même de chanteurs pour en être convaincu.
L’investissement du souffle interfère profondément sur les rythmes physiologiques. Nous savons d’expérience que l’allongement de la respiration induit inévitablement, un ralentissement du rythme cardiaque et du métabolisme en général.
Les yogin non content d’intervenir sur l’acte respiratoire par des rythmes lents ou à l’inverse très rapides (expiration/inspiration) vont guider l’énergie vitale le long de trajets subtils (nâdî) et stimuler ainsi les centres (chakra) de l’enveloppe énergétique. Cette dynamique du souffle est amplifiée, par l’intermédiaire des rétentions volontaires (poumons pleins et poumons vides), dans l’optique d’accéder un jour, après un long cheminement, à kevali kumbhaka, la suspension spontanée du souffle qui couronne l’étape propre au prânâyâma.
Le prânâyâma induit une pratique régulière, assidue et réclame obligatoirement la présence d’un guide expérimenté.
La Goraksha-shataka dans le sloka 54 précise “C’est par la posture que le yogin détruit toujours les maladies, par le prânâyâma qu’il efface le péché (dualité), et par la rétraction des sens (pratyahârâ) qu’il vient à bout des perturbations mentales”.

V – PRATYÂHÂRA, le retrait des sens.

Absent dans la hatha-yoga-pradîpikâ, ce retrait des sens est néanmoins implicite au niveau où le yogin est parvenu. Naturellement, ce pratyâhâra s’installe non comme une simple coupure avec le monde extérieur mais comme l’ouverture à une véritable intériorité que les étapes précédentes ont préparées avec soin. Profondément recueilli en soi, le yogin est capable, dès lors, de prendre la mesure de sa propre réalité et dégagé de toute perturbations extérieures, d’orienter les flux de la pensée avec une plus grande facilité.

VI – DHÂRANÂ, la concentration et DHYÂNA, la méditation.

Ce terme dhâranâ non présent dans le tableau ci dessous est en fait un préambule à dhyâna, la méditation. Effectivement, comment prétendre accéder à un état méditatif stable si un puissant travail de concentration n’a pas été réalisé préalable en domestiquant le mental.
Beaucoup de soi-disant états méditatifs ne sont en fait, à l’analyse, que de vulgaires rêveries éveillées qui laissent l’individu dans un état lourd et pesant propre à un état d’assoupissement.
Si la concentration réclame un effort constant de la part du yogin pour maintenir le mental dans un état d’immobilité sur son objet de concentration (externe ou interne), la véritable méditation est une concentration où la notion d’effort a complétement disparu et où le flux mental finit par se dissoudre dans une véritable contemplation qui n’a plus rien de personnel. Les portes s’ouvrent. La vague réintègre en pleine conscience l’océan.

VII – SAMÂDHI, l’éveil, la libération, l’enstase, l’absorption finale.

Mukti-yantraA ce niveau, laissons humblement la parole aux traités hatha-yoguiques, qui fort de l’expérience acquise nous délivrent les enseignements finaux en quelques sloka.

La Gheranda-samhita :
“Parmi tous les états de conscience, celui que l’on nomme enstase (samâdhi) ou libération (mukti) consiste à déconnecter le mental du corps et à l’unifier au Moi suprême (parâtman)”.

La Goraksha-shataka :
“Comme le lait versé dans du lait, du beurre clarifié dans du beurre clarifié, du feu dans du feu (ne font qu’un), de même au niveau le plus haut, le connaisseur de yoga atteint la non-dualité pour toujours”.

La Hatha-yoga-pradîpikâ :
“Celui qui semble endormi en état vigil, qui ne respire pas, tout en état en parfaite santé, celui-là est vraiment libéré”.

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